Bonjour ami lecteur,

Voilà donc le moment du premier partage sur les coulisses de mon écriture. Que raconter pour commencer ? Je ne me suis pas posé la question bien longtemps et c’est en toute logique (ou sans originalité aucune, comme vous voudrez !) que je vais vous parler de ce qui m’a amenée à l’écriture.

Cahiers d’écolière et premières envies de romans

J’ai toujours aimé les stylos et le papier. Eh oui, en ces temps dont je vous parle, pas d’ordinateur, pas même de machines à écrire dans les foyers, en tout cas pas chez moi. J’adorais entrer dans une papeterie, admirer les rangées de cahiers bien alignés, choisir avec soin la bonne couleur, la bonne épaisseur, le bon espacement des lignes. Puis, une fois rentrée à la maison, ouvrir mon secrétaire, y déposer le précieux objet, en caresser la couverture, en sentir l’odeur, là, en mettant le nez bien dans la pliure, au milieu, près des fils de reliure. Puis l’ouvrir à la première page, appuyer un peu, faire craquer les jointures pour qu’il tienne bien à plat. Prendre mon stylo-plume, grand luxe par rapport à l’école où on trempait encore les plumes Sergent-major (ou autres, moi je préférais les autres) dans l’encrier, lever la main au-dessus de la page quadrillée et chercher un titre avant même d’avoir écrit un mot, pas même imaginé une histoire. Mon esprit s’envolait, je donnais des noms à des personnages, les habillais, les dotais d’un caractère particulier, je choisissais des lieux, une ville, un cadre. J’abandonnais l’idée de titre, tournais une page et rédigeais une belle introduction. Un incipit. À l’époque je ne connaissais pas le mot. Trente lignes, parfois cinquante. Puis il fallait aller manger, je fermais le cahier si l’encre avait suffisamment séché, et descendais l’escalier, certaine que cette fois-ci, c’était parti, j’allais écrire un roman. Combien d’introductions ai-je écrites ! Combien de cahiers ai-je remisés à peine entamés… Parce qu’avec une autre couleur, c’était sûr, j’aurais une encore meilleure idée !

Plongée dans les lectures qui nourrissent les mots : mes années collège

Avec le collège sont arrivés les cours spécifiquement dédiés au français. Les dictées, la grammaire, j’aimais bien. Je trouvais ça plutôt simple et plaisant. De ces quatre années, je me rappelle avoir découvert des textes formidables, surtout Candide, Zadig et Colomba.

C’est à ce moment-là que j’ai eu le droit quitter la « bibliothèque municipale des petits » pour accéder à la grande salle des adultes. C’était l’ancien hôtel de ville. Les boiseries et les ors m’impressionnaient. Pour préparer les exposés, nous consultions l’Encyclopædia Universalis sur l’immense table de la salle du conseil, dans un silence total. Ça sentait la cire et le vieux cuir. Dans la salle à côté, vaste et illuminée par de très hautes fenêtres, s’alignaient de longues étagères accueillant les ouvrages qu’on pouvait emprunter. Là ont commencé des années de bonheur littéraire.

Découvrir un auteur, dévorer tous ses livres, guetter avec impatience le retour de ceux qui étaient sortis. M’immerger dans de nouveaux univers, savourer différents styles. À droite, la collection des Rois maudits. Pas bien loin, les Dumas. Aux deux tiers de la pièce, les Saint-Exupéry. Un peu plus loin les Troyat. Plus loin encore, le théâtre. Les pièces roses, noires, brillantes, les Justes, Rhinocéros que je ne comprendrais que bien plus tard. Avoir lu tous les Boris Vian et apprendre qu’il n’en écrirait plus, je sens encore ce vide au fond de moi. Ces lectures nourrissaient mon imaginaire et faisaient croître en moi le goût des mots.

Rangées de livres dans une bibliothèque lumineuse, représentant l'inspiration littéraire et la découverte d'auteurs

Au collège, on lisait, on analysait les textes, on jouait des scènes. On s’exerçait aussi à écrire. Des rédactions, comme on appelait ça, je ne me rappelle rien, excepté une en classe de troisième. C’était le dernier devoir de l’année, le dernier avant le brevet. « Sujet libre ! » avait annoncé notre professeure, comme un cadeau qu’elle nous faisait. J’avais passé des jours à construire puis peaufiner l’histoire d’une femme du passé qui se trouvait projetée à notre époque, s’émerveillant des objets qu’elle découvrait, notamment d’un aspirateur, allez savoir pourquoi j’avais pris ça comme symbole du modernisme des années soixante-dix. J’avais bleui (bleu nuit, ma couleur d’encre préférée) plusieurs pages, et étais assez contente de moi. Quelques jours plus tard, au moment du rendu des copies, la professeure, une femme sublime à la silhouette longiligne toujours vêtue de noir, s’était placée face à la classe, devant le tableau vert, avait rejeté d’un mouvement élégant ses longs cheveux couleur d’ébène derrière son épaule gauche, et, agitant la copie qu’elle tenait entre ses mains, avait déclaré : « avant de vous rendre vos devoirs, je voudrais vous en lire un, excellent, qui m’a beaucoup plu et a obtenu un 20 ». Mon estomac s’est serré un peu et j’ai coincé mes mains jointes entre mes cuisses pour qu’elles arrêtent de trembler. Elle a ouvert la copie, s’est éclairci la gorge et a commencé à lire. Ce n’étaient pas mes mots. J’ai tourné la tête vers ma grande amie, Isabelle aussi, qui affichait un sourire radieux. C’était son histoire, celle d’un garçon à qui il arrivait plein de péripéties en lien avec des expressions françaises. Je ne me rappelle plus les détails, mais je me souviens qu’il finissait mort, cloué au lit par un énorme rhume. Une chute incroyable, un texte qui fit rire toute la classe. Alors j’ai su que les mots avaient ce pouvoir magique de faire naître des émotions chez ceux qui les écoutent. J’ai su aussi qu’écrire, c’était travailler et travailler encore. Les mots de Boileau résonnent encore dans ma tête : « Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage, polissez-le sans cesse et le repolissez ». Je n’y avais pas suffisamment remis le mien.

Premier article : quand les mots émeuvent

Après le brevet vinrent le bac français et cette année bénie de Première où se côtoyaient tragédie grecque et poésie du vingtième siècle. Succomber à la musique des alexandrins de Racine, fondre en lisant les vers de Mallarmé, Éluard, Aragon, Apollinaire, je n’ai jamais su dire lequel des quatre me faisait le plus frissonner. Bonheur total. Je me dois tout de même de dire que je n’ai pas eu de très bonnes notes au bac français…

Peu de temps après, une dame qui nous réunissait le mercredi après-midi pour réaliser des petits travaux, poupées en tricot, couvertures en patchwork, bougies, qu’on allait vendre sur le marché au profit de Terre des hommes, a sonné à la porte. Le plus vieux prêtre de la paroisse, le père Renoult, était mort. Un homme qui me faisait un peu peur. Droit et austère, la mâchoire crispée, le bras gauche toujours plié à angle droit, ses yeux semblaient lire au fond des âmes. Pour lui, comme pour beaucoup, la guerre n’avait pas été tendre, mais ça, je ne le savais pas, la guerre, on n’en parlait pas. Cette dame, donc, m’a fait une demande qui m’a paru tout à fait incongrue : écrire un article sur ce prêtre pour le journal municipal. Pourquoi moi ? Je ne sais pas. Peut-être juste parce qu’elle habitait la même rue et que ses jambes ne la portaient plus très loin.

Bureau de bois dans une pièce sombre évoquant la rédaction de mon premier article

Je n’ai pas osé refuser et je suis partie en vacances, il faisait froid, c’était en février je crois, avec cette mission dans un coin de la tête. Les jours passaient et je ne m’y mettais pas. Et puis un soir, dans une chambre d’hôtel sombre et glaciale, sur un petit bureau au bois piqué par les vers, j’ai posé un cahier. Pas un beau cahier à la couverture lustrée et aux pages bien blanches, un cahier aux pages un peu jaunies avec écrit « Brouillon » en gros dessus. J’ai enlevé le capuchon de mon stylo et j’ai écrit. Sans m’arrêter.

J’ai raconté cet homme que je connaissais peu. Enfin, pas raconté l’homme vraiment, plutôt évoqué des images. Le respect qu’il inspirait, l’autorité qu’il incarnait, mais aussi l’étincelle de bonté que j’avais vue quelques fois briller dans son regard, quand je ne baissais pas les yeux. J’ai bleui quelques pages, les ai arrachées, glissées dans une enveloppe, j’ai griffonné un mot d’accompagnement pour la dame, et le lendemain je les ai postées. Avec un sentiment d’accomplissement. Quand je suis rentrée quelques jours plus tard, le journal était déjà paru. Il y avait plusieurs articles sur le père, pas le mien. Normal, je l’avais envoyé trop tard. Je n’y ai plus pensé jusqu’au matin où la dame a de nouveau sonné. Et elle a raconté combien mon texte l’avait touchée, qu’à sa lecture le nouveau prêtre avait pleuré. « Tu devrais faire journaliste » a-t-elle ajouté. Ça ne m’a jamais vraiment tentée, mais écrire, ça, j’ai su ce jour-là qu’il était pour moi vital de continuer.

Le bureau : un autre terrain de jeu pour faire danser les mots

Les années ont passé, à l’université les matières scientifiques ont pris toute la place. J’ai retrouvé un peu la plume, ou plutôt le clavier, au bureau. Les ordinateurs étaient arrivés, avec leurs traitements de texte, mais pas encore la messagerie. Les informations s’échangeaient oralement, eh oui, on se parlait encore, ou par des notes de service. Et ça, c’était l’occasion d’aligner les mots et de soigner les tournures. J’y passais du temps. Trop sans doute. C’est alors que j’ai compris la difficulté de bien choisir les mots pour qu’ils traduisent fidèlement ma façon de penser, mais aussi celle des autres.

Un jour, j’ai écrit une note sur je ne sais plus quels nouveaux développements informatiques qui remplaçaient un ancien système. Je l’avais intitulée « Quatre nouveautés et un enterrement » et j’étais assez fière de mon titre, clin d’œil au film Quatre mariages et un enterrement qui venait de sortir. Quelles ne furent pas ma stupeur et ma confusion de voir l’un des destinataires débouler dans le bureau de mon responsable en criant au scandale et à la provocation. Je n’ai compris qu’après : la mère d’une de ses collaboratrices avait été enterrée la semaine précédente… J’ai appris que quelle que soit l’intention, les mots pouvaient être mal compris, mal reçus, et aussi que mes mots ne plairaient jamais à tout le monde.

Première dédicace, premiers lecteurs : l’autorisation d’avancer sur le chemin

Je terminerai avec une dernière anecdote qui a marqué un tournant dans mon rapport à l’écriture et a conduit à la création de ce site. Les années avaient passé, et j’avais eu envie de laisser un peu de côté la technique pour découvrir davantage l’humain. Entre autres cours et formations, j’ai suivi un parcours de coaching professionnel, en grande partie basé sur la Programmation neuro-linguistique (PNL). Lors de cette formation, outre des personnes remarquables, j’ai découvert des outils et des perspectives qui, sans que je le sache encore, allaient nourrir ma plume.

C’était une fin d’après-midi. Les enseignements portaient sur la façon de proposer des « devoirs » aux clients entre deux séances. Pour l’exercice final, qui clôturait la session, je faisais le « cobaye », et chacun des dix autres participants devait me proposer une tâche en lien avec une problématique que j’avais exposée au préalable. Je devais en choisir une et la réaliser pour la session suivante, soit trois semaines plus tard. J’ai écouté chaque proposition, senti parfois mon estomac se tordre devant la difficulté de certains exercices proposés, été indifférente à d’autres, et puis l’un d’eux a proposé « Écrire une nouvelle et nous la montrer ». J’ai aussitôt ressenti un mélange de peur et d’excitation. Quelque part en moi, une étincelle avait jailli, un feu avait été allumé. J’ai choisi cet exercice-là, sans trop savoir où cela me mènerait. Je n’avais pas vraiment d’idée. Pendant plusieurs jours, j’ai laissé mon esprit flotter, tout en travaillant. Et un soir, j’ai réalisé qu’il ne restait plus que deux jours avant la nouvelle session de formation. La pression montait.

Après une nuit peuplée d’images de plage et de soleil, au matin, sous la douche, lieu particulièrement propice aux révélations, l’inspiration a surgi : raconter l’histoire d’une stagiaire qui rencontre des mentors au fil de son parcours d’apprentissage. Toute la journée, des images ont jailli dans ma tête. La stagiaire longeait une plage et faisait des rencontres inspirantes, tombait dans le sable, se relevait, et, pas après pas, progressait. Le soir venu, j’ai écrit, relu, réécrit, corrigé, peaufiné. La nuit, j’ai imprimé. Un exemplaire par personne, sur du papier A4 plié en deux pour constituer un petit livret, avec un titre en gras sur la couverture : « Le chemin… ».

Couverture de la nouvelle "Le chemin" évoquant ma première création littéraire partagée

Le lendemain, j’ai retrouvé mes camarades et leur ai distribué mon texte en silence. Chacun l’a rangé et le cours a commencé. Après la pause matinale, une stagiaire m’a tendu mon petit livret et m’a demandé de le lui dédicacer. Un autre après le déjeuner. Plusieurs sont venus me féliciter. J’étais un peu gênée. J’aurais pu mieux faire, c’était certain. Et puis ce n’était pas bien difficile, il suffisait d’écouter ses émotions et de laisser ses doigts courir sur le clavier. En rentrant chez moi, je n’ai rien dit, ces choses-là n’intéressent pas vraiment mon entourage.

Le jour suivant, quand j’ai poussé la porte du centre de formation, j’ai vu le directeur et deux formateurs chevronnés en train de conciliabuler. Je sais bien que ce mot n’existe pas, mais n’empêche, je l’ai bien vu, Paul, Francis et Jean-Luc, ils conciliabulaient. Je les ai salués de loin, ils se sont tus et m’ont appelée. Mon petit texte avait fait le tour des bureaux, ils étaient impressionnés. Je n’en dirai pas plus, j’en suis encore gênée. Toujours est-il qu’ils m’ont dit que ce serait leur faire un grand cadeau que de leur permettre de le publier sur le blog de leur organisme de formation. J’étais très étonnée. Bien sûr, ils pouvaient en faire ce qu’ils voulaient, c’était juste un petit exercice de rien du tout ! D’ailleurs je ne voyais pas trop qui ça pourrait intéresser…

C’est ainsi que mon premier texte s’est retrouvé sur un blog, et que je me suis donné l’autorisation de poursuivre dans cette voie. C’est pour accueillir et partager mes écrits suivants que j’ai créé ce site. Je l’ai baptisé « Écrire et se tenir en joie », parce que j’aime la sonorité et le sens du mot « joie », et aussi Barruch Spinoza.

Et vous, vous souvenez-vous de vos premières expériences avec les mots ? J’aimerais beaucoup lire vos anecdotes à ce sujet !

 

Merci de m’avoir lue, je vous souhaite une journée remplie de joie !

 

Extrait du texte "À la source des mots - mes premiers pas dans l'écriture"

© Copyright Isabelle Anne Roche – 2024 – Tous droits réservés
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