En ce début d’après-midi, un beau soleil inonde le jardin. Voilà plusieurs jours que je ne suis pas sortie, ou à peine un quart d’heure, le temps d’aller à la boulangerie. La clarté ne durera pas longtemps, on est dans les journées les plus courtes de l’année. Alors je chausse mes sabots, ouvre la porte de derrière et sors. Le froid me surprend. Vu depuis la fenêtre, on aurait pu imaginer une certaine douceur printanière. Il n’en est rien. L’automne n’a pas encore cédé sa place à l’hiver, mais les degrés se comptent sur les doigts d’une main. Je remonte bien haut la fermeture à glissière de mon sweat en polaire. Le jardin n’est pas bien grand. D’un regard, je l’embrasse tout entier. Sur les noisetiers, seules quelques feuilles demeurent accrochées. Les autres, racornies, craquantes, recouvrent la pelouse. Le prunier n’est plus que rameaux tors et cassants. J’arrache sans effort une rose trémière dont la beauté passée se résume maintenant à une tige creuse attaquée par la moisissure.

Bien décidée à mettre à profit les instants ensoleillés qui me sont offerts, je me dirige vers la cabane où sont entreposés les outils. En passant, je remarque avec étonnement que le choisya est fleuri. Je plonge le nez dans un bouquet de fleurs crème et leur divin parfum m’emporte au loin, dans un grand champ d’orangers siciliens. La porte rouge du petit appentis grince sur ses gonds rouillés. J’écarte une toile d’araignée, et avance dans la semi-obscurité. J’enfile mes gants de jardinage vert et blanc et me saisis d’un sécateur à main. Je commence par couper les branches d’un vieux rosier qui dépassent sur le chemin et dans lesquelles je me prends toujours les pieds. Puis j’entreprends d’arrondir le bouquet de sauge. Sitôt ses feuilles froissées, des effluves évoquant d’appétissants ragoûts emplissent mes narines. Je me redresse pour contempler mon travail. Pas mal. Je pose les yeux un peu plus loin. Le découragement s’empare de moi : voyez comme ces bambous sont envahissants ! Je vais m’y attaquer.

Comme je coupe le premier, des petites particules blanches atterrissent sur ma manche. Je les chasse distraitement. Des morceaux de feuilles probablement. Ou les cendres d’un feu voisin. Je me remets à l’ouvrage. Mon bras se couvre de nouveau de blanc. J’interromps mon geste. Prends conscience du silence. L’atmosphère est étrange. Ouatée. Quelque chose a changé. Je mets quelques secondes à comprendre. J’inspire l’air froid, expire un halo de buée, tends la paume de ma main. Mais oui, c’est bien ça ! Il neige ! Seule au milieu du jardin, je sens mes lèvres s’étirer en un sourire enfantin. Je laisse un flocon se poser sur mon gant. J’en admire l’incroyable forme ouvragée avant que mon souffle trop chaud ne le fasse disparaître. J’esquisse un pas de danse. Toute l’enfance surgit, bonshommes et boules de neige, batailles enragées, glissades maladroites, rires de cristal emplissant l’air gelé. Un instant, je sens la nostalgie poindre. Les ombres des enfants coiffés de leurs bonnets depuis longtemps trop petits, trop roses ou bien troués, allongés sur le sol blanc et dessinant des anges, viennent serrer ma gorge. Mais je n’y céderai pas. Pas aujourd’hui. Pas en cet instant particulier. J’avale les souvenirs, étends les bras, lève le nez vers le ciel et tourne sur moi-même en riant : de tout temps, et pour celui qu’il me reste, la neige a eu, a et aura ce pouvoir de me remplir de joie !

Petite statue de bouddha assise dans la neige au milieu du jardin
Bonus : savez-vous pourquoi les flocons de neige ont autant de formes différentes ? Découvrez-le par exemple ici : Sciences et Avenir

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