Aujourd’hui, ma promenade commence sur le petit port du Bélon. Quelques maisons regroupées autour d’une cale, deux ou trois voiliers amarrés au milieu du fleuve. La route ne va pas plus loin. Dès le bureau du port franchi, le sentier côtier emprunte un escalier de pierre. Il ne monte pas très haut, juste assez pour surplomber l’onde verte de quelques mètres. Des trouées dans la végétation touffue laissent voir des petites plages de graviers sur lesquels quelques kayaks montrent leurs dos colorés.

Plus loin s’étend l’eau calme au fond de laquelle on devine les parcs à huîtres, pour l’instant recouverts par la marée. Quelques oiseaux chantent. Pas des oiseaux marins, des oiseaux des bois et des jardins. Les racines des chênes, des châtaigniers et des hauts pins qui donnent à ce paysage breton un air de Méditerranée affleurent, retenant la terre, mais demandant la plus grande attention au promeneur s’il ne veut pas chuter dans l’eau parsemée de rochers. D’ailleurs, une brève portion du sentier est fermée, il n’est plus qu’une pente raide sans espace suffisant pour poser les pieds. Il reprend un peu plus loin et la flânerie continue entre les fougères et les prunelliers. Ils ont déjà perdu leurs feuilles, mais sont couverts de ces petits fruits presque noirs dont l’âcreté pétrifie la langue.

Puis, presque sans qu’on s’en rende compte, le gazouillis des oiseaux cède la place à un bruit sourd et régulier. Au-delà des arbres, j’aperçois une vague remonter le courant, laissant une ligne d’écume au milieu de la ria. Puis une autre. Quelques mètres et déjà le fracas des flots sur les rochers emplit tout l’espace. Fini le fleuve apaisé, l’océan est là.

Juste avant que la route ne vire à gauche, je descends quelques marches raides et arrive devant quelques stèles à moitié mangées par la végétation. Ici, une vingtaine de résistants français et un aviateur britannique ont été fusillés en 1944. Le site est majestueux, l’histoire terrible. L’esprit un peu lourd, je remonte l’escalier pentu et fais quelques pas jusqu’à une vaste pelouse où trône une table d’orientation, carreaux de faïence peinte posés sur un épais bloc de granit. Je reçois le vent en pleine face. La puissance de la mer, la force des éléments interrompent ma marche. Je reste un moment figée dans la contemplation de leur beauté sauvage.

Repue d’embruns, de cris de goéland, les lèvres salées, je m’ébroue et reprends mon chemin. Une descente vers la plage, quelques pas sur la route, et puis c’est la forêt. Changement de paysage. Le sol jonché de feuilles mortes est moelleux sous les pieds. L’air est empli de senteurs de fougères et de champignons. Dans un petit vallon se cache une fontaine, trou d’eau entouré d’un muret de pierre formant un carré. Elle alimente un bassin ovale situé légèrement en contrebas. Il est couvert de lentilles d’eau. Qui dit fontaine, dit chapelle. Elle ne doit pas être bien loin. J’enjambe une vieille souche, parcours quelques mètres, et la voilà. Posée au milieu d’une étendue d’herbe grasse. Un clocher minuscule, une porte rouge, fermée. Un nom : chapelle Saint Guinal.

Le chemin s’enfonce à présent entre les hauts troncs. Çà et là, il est bordé de moellons empilés autrefois, couverts par le temps de mousse et de lichen. Je saute par-dessus un ruisselet chantant. Partout, des arbres, du lierre, du houx et des boules de gui. La luminosité baisse. Bientôt le soir. Je stoppe un instant. Pas un bruit. Même les oiseaux se sont tus. Je commence à me demander si je ne suis pas perdue. Non, là, devant, un mur se profile. Une maison. Plusieurs. Un hameau. La civilisation. Quelques rires d’enfants, une musique qui s’échappe d’une fenêtre, une odeur de plat en sauce qui mijote quelque part.

Je traverse la petite route qui ne doit pas souvent voir passer d’automobiles. Le chemin reprend, descente abrupte vers une vaste étendue d’eau grise. De vase plutôt, en cet instant crépusculaire où la mer s’est retirée. Quelques bateaux abandonnés montrent leur squelette figé dans la boue pour l’éternité. Une aigrette garzette picore avec application dans le bourbier. Bientôt les arbres deviennent plus rares, un raidillon, un virage à gauche, quelques maisons, une cale, deux ou trois voiliers amarrés… Ça y est, retour au point de départ, la boucle est bouclée !

Embouchure du Bélon à Kerfany-les-Pins, entre fleuve et océan, balade côtière en Bretagne Sud
Point de vue de Kerfany-les-Pins, à l'embouchure du Bélon, soir
Plage de Kerfany-les-Pins en Bretagne sud, vue sur la mer à travers les pins, soir
Fontaine près de la chapelle Saint-Guinal, dans la forêt de Kerfany-les-Pins
Chapelle Saint-Guinal, près de Kerfany-les-Pins
Sentier forestier en automne, jonché de feuilles mortes, près de Kerfany-les-Pins
Balade d’automne en Bretagne le long du Bélon, épaves de bateaux en bois au milieu des arbres et des feuilles tombées.

Repère : ce sentier est une toute petite portion du GR34, le sentier côtier, aussi appelé « sentier des douaniers », qui fait le tour de la Bretagne, de Saint-Nazaire au Mont Saint Michel (qui, c’est vrai, est bien en Normandie !).
Découvrez-le par exemple ici : GR34 : le plus maritime des sentiers de grande randonnée

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