Aujourd’hui le soleil brille et je suis pourtant d’humeur morose,
J’ai envie de faire claquer les mots et de laisser couler ma prose.
Pas de longues phrases, de mots savants, juste vider mon cœur,
Sur le clavier frapper les touches, cogner les lettres et buter la douleur.
Un rythme de slam résonne au fond de mon cerveau,
Vous l’entendez ? Bam bam, il va m’aider à faire sortir les mots.
*
Je me rappelle il y a quelques années, pas mal pour dire la vérité,
Le réveil à sept heures du mat’, tout de suite être au taquet,
Un gamin, deux gamins, trois gamins à habiller,
Dépêche-toi, dépêche-toi, on va être en retard, allez, allez !
Petit-déjeuner vite avalé, cartable bouclé, blouson enfilé,
Putain mais c’est pas vrai, tu sais toujours pas faire un lacet !
Allez, on monte dans la voiture, ferme ta portière, boucle ta ceinture,
V’là les poubelles, ils font exprès, on va arriver après la fermeture.
Allez, bisous, bonne journée mon cœur, amuse-toi bien !
Coup d’accélérateur, réunion à 9h, faut que j’y sois même si ça sert à rien.
Quai du RER, mon cœur bat fort et la sueur coule dans mon dos,
On est pourtant en hiver, bordel, j’ai pas pris mon déo.
Je bats la semelle, mais qu’est-ce qu’il fout ce train ?
Ah le voilà, on se pousse, on se serre, on n’a plus rien d’humain.
J’ai les cheveux dans les yeux mais je peux pas bouger mes mains.
Inspirer, expirer, Nation, Châtelet, Étoile, bientôt la fin du souterrain.
Vomie sur le quai par la horde pressée, escalier mécanique,
Je pense plus à rien, j’suis en pilote automatique.
Un rayon de soleil, tiens il fait beau, mais pas le temps d’m’attarder,
Portes coulissantes, contrôle d’accès, hall de verre et d’acier,
Plantes en plastique, ascenseur froid, ambiance aseptisée,
Je jette mon sac et attrape un dossier.
En réunion, débrouillez-vous, j’m’en fous, faut couper les budgets.
Virez les prestataires, virez les vieux, rognez sur la qualité,
On a des actionnaires, grassement faut les rémunérer.
Faire des projets ? Innover ? Délivrer un service de qualité ?
C’est vrai, sans déconner, c’est ça qui vous fait vibrer ?
Ah, ah, vous me faites rire, vous y avez cru quand on vous a embauchée ?
Retour au bureau, coup d’œil à la messagerie,
Messages d’injures, pas de bonjour, pas de merci.
Parenthèse rapide par la cantine bondée,
Du bio, du flex, du végan, du local, des graines germées,
Pour un peu je rêverais du hachis Parmentier de quand on était petits,
Mais c’est pas à la mode, c’est bien moins classe que les sushis.
L’après-midi s’enfuit de réunions en dossiers,
Vite, vite, abrège, ça va être l’heure de rentrer.
Faut pas que je rate le RER de 18h20
Sinon je vais arriver trop tard pour récupérer les gamins.
Je range mes affaires dans mon casier, plus de bureau privé,
Je cours sur le carrelage glissant du parvis mouillé,
Tiens finalement il a plu,
M’en suis pas aperçue.
C’est reparti, escaliers mécaniques,
Et vers le quai, descente frénétique,
J’arrive, la sonnerie retentit, je me précipite dans le wagon,
J’ai gagné cinq minutes, sacré coup de bol dis donc.
Bon, y’a pas de place pour s’asseoir, tant pis pour mon dos,
Pas le temps de rêvasser, faut que j’pense au frigo.
Y’a plus rien pour ce soir, j’vais m’arrêter au Franprix,
Du pain, des œufs et puis des spaghettis
J’aurai pas le temps de remplir un caddie,
Tant pis, pas grave, on verra ça samedi.
Ça y est, les gamins sont douchés et les devoirs sont faits,
Les spaghettis sont cuits et les œufs bien mollets.
Cinq minutes de pause, je regarde le courrier.
Facture EDF, catalogue Ikea et relance de loyer.
À table, les enfants, qu’avez-vous fait de beau aujourd’hui ?
Chacun y va de son histoire, c’est la cacophonie.
Allez, pyjama, lavez les dents et au lit !
Une histoire, un bisou, un câlin, passez une bonne nuit !
Je me couche à mon tour, et règle le réveil.
Mon dos m’fait mal et je sens plus mes orteils.
Je regarde le plafond et lance une prière :
Je veux que tout s’arrête, être seule, ne rien avoir à faire !
*
Les années ont passé et on a tous vieilli,
Les enfants ont grandi et puis ils sont partis.
Ç’a pas été facile, les études, Montréal, Bruxelles, Paris,
Leur trouver un logement, suivre leurs choix de vie.
Maintenant ils sont grands et sont tous installés,
Un au sud, un à l’ouest et l’autre juste à côté.
Je suis assise au fond de mon vieux canapé.
Sur mes genoux un coussin, posé dessus un thé,
Un peu plus tard, je me ferai un café.
Je regarde dehors, le printemps a l’air de vouloir s’installer.
La maison est silencieuse, même pas un chant d’oiseau,
Faudrait ouvrir la fenêtre, mais comment me lever sans me faire mal au dos ?
Rien à faire aujourd’hui, et rien à faire demain.
Faudra quand même que j’pense à acheter du pain.
Les journées se ressemblent et manquent de couleur,
Au début j’aimais ça, les jours sans regarder l’heure.
J’avais envie de plein de choses, de marches dans les rues,
De rires au ciné, de lectures infinies, de musées imprévus.
Ce matin, plus envie, je me sens comme échouée,
Un tas de chairs molles posé sur le côté.
Que pourrais-je bien faire ? Une série à la télé ?
À cette heure du matin, y’a que « Amour, gloire et beauté ».
Je regarde dehors, le soleil est radieux,
Faudrait que je me bouge, ça irait sans doute mieux.
Voir du monde peut-être, mais qu’aurais-je à leur dire ?
Parler du beau temps, des voisins, me forcer à sourire ?
Je n’ai plus trop la force de rencontrer du monde,
Je me sens dériver, en moi plus rien ne gronde.
Tiens, on sonne ! Le facteur, j’ai un recommandé.
Bonjour, merci, au revoir, mes mots de la journée.
Alors que je referme la porte sur la vie,
Je repense à mes plaintes sur mes jours trop remplis.
Où est passé ce temps où j’avais trop à faire ?
Où sont ces moments pleins où je cherchais mon air ?
Étaient-ils si pénibles ou seulement bien vivants ?
Que n’ai-je su prendre conscience et profiter du temps.
Je me demande maintenant comment j’ai pu souhaiter qu’ça cesse
Et aimerais peupler mes jours, même d’un peu de stress.
Mais voilà je suis seule sans rien à espérer,
Hors la venue du facteur pour un recommandé.
*
J’aurais pu ce jour-là lâcher, abandonner,
Au fond du canapé, m’enfoncer et glisser.
Mais poursuivant sa course le soleil a tourné,
Et à travers la fenêtre est venu me chercher.
J’ai chaussé mes bottines et enfilé ma veste,
Marché vers la forêt, le pas et le cœur lestes.
J’ai longé un ruisseau joyeux et sautillant,
Et d’un merle moqueur j’ai savouré le chant.
Un iris bleuté mirait sa robe dans l’onde,
Un jasmin étoilé lançait son parfum à la ronde.
Dévalant d’un haut tronc un écureuil craintif
S’enfuit à mon approche sur un regard furtif.
La vie était partout, je me sentais renaître
La force de la nature envahissait mon être.
Alors je me suis adossée à un vieux chêne rugueux.
La tête contre son tronc puissant, j’ai fermé les yeux.
Au creux de mon oreille l’arbre m’a conté sa vie.
Il se rappelait tout, depuis qu’il était petit,
Les pluies d’été, la neige, les nids de chaque année,
Les chamailleries d’oiseaux et les glands nouveau-nés.
Les tours de bicyclettes des enfants excités,
Les amours de jeunesse des lycéens d’à côté.
À regarder le monde, il a beaucoup appris,
Appris surtout qu’à la pluie succède toujours l’éclaircie.
Il a écouté des enfants lui confier leurs idées de grandeur,
Revenir plus tard fiers de leur argent et mimant leur bonheur,
Au mitan de leur vie en rechercher le sens,
Et à son soir pleurer sur la vacuité de leur existence.
Je demandais au chêne s’il n’était pas fatigué,
Fatigué de rester toujours ainsi planté,
Fatigué de voir toutes ces vies défiler
En voyant les erreurs souvent se répéter.
Il me dit que chaque jour était recommencement,
Qu’il n’y avait rien de plus riche que chaque instant présent.
Je dis alors au chêne que c’était facile pour lui,
Facile parce qu’il savait qu’un jour suivrait toujours la nuit.
Il me confia qu’un orage était vite arrivé
Et qu’un seul coup de foudre pouvait le consumer.
Sentant son tronc frémir à l’idée de sa fin,
Je lui dis qu’en d’autres il survivrait demain.
Tous ces glands essaimés grandissaient de sa sève,
Tous ces enfants rassurés allaient prendre la relève.
Alors il me dit que c’était pour moi pareil,
Que je pouvais en d’autres semer des merveilles,
Transmettre mon savoir, mon vécu, mon essence
Et apporter ma pierre à l’infinie renaissance.
*
Je me suis relevée puis je l’ai enlacé,
Et j’ai laissé mon cœur de sa force se gorger.
Enfin je ne voyais plus les années comme menant au déclin,
Mais emplissant de précieux souvenirs un ravissant écrin.
J’ai compris alors que le temps enfui s’appelait l’expérience,
Que je pouvais la mettre au service des errants de l’existence.
J’ai compris que la vie se vivait à chaque instant
Puisqu’il nous faut admettre qu’elle peut s’arrêter n’importe quand.
J’ai compris que le parfum d’une fleur vaut la peine de se lever,
Qu’entendre un oiseau chanter vaut la peine d’avancer.
J’ai compris qu’entre un stress permanent et une vie de néant
Il y avait la place pour quelque chose de plus satisfaisant.
Et j’ai surtout compris que pour être comblé,
L’important est d’aider, donner et partager.
Alors j’ai secoué le plaid du vieux canapé,
J’ai rangé la zappette et le plateau télé.
J’ai rencontré des gens, découvert, échangé,
Et j’ai rempli ma vie de moments partagés.
Plus de stress, plus de course, mais plus de vide non plus,
Des jours comblés de joie comme de gros fruits charnus.
Et c’est avec l’envie de vous dire d’expérience
Que c’est en prenant soin que la vie prend son sens,
En prenant soin de soi, des autres, de son environnement
En cultivant des liens que l’on vit pleinement.
C’est pour vous demander de ne jamais abandonner,
De croire en l’être humain et en votre bonté,
De laisser un matin un rayon de soleil vous toucher
Que j’ai laissé ce soir mes doigts claquer sur le clavier.
« © Copyright Isabelle Anne Roche – 2019 – Tous droits réservés. Le texte de cet article est la propriété de son auteur et ne peut
être utilisé sans son accord et sous certaines conditions. »
bonjour Isabelle
quelques larmes m’ont échappée.
Merci pour ce beau texte,qui nous ressemblent tous….Émouvant et très vrai…….
Bonjour Isabelle,
J’étais sur mon canapé ,à méditer sur le temps passé , le temps qui passe , le temps à venir , sur hier trop bien rempli , sur aujourd’hui à remplir , pour demain , on verra ,
Me dire qu’il était temps de me bouger un peu , et avant le sursaut , me mettre à taquiner la tablette
Merci pour ce très joli texte qui fait vraiment écho à ce que je ressens depuis que je suis en retraite et que les enfants ont quitté le nid familial ,
Il y a quelques années , j’ai eu dans les mains un très beau livre pour enfant décrivant la vie d’un arbre , je n’ai ni retenu le titre ni l’auteur mais il illustrait tout à fait ce que vous écrivez ,
Et je vous relirai de temps en temps , et même souvent , pour me donner l’envie … d’avoir envie de continuer ….à vivre tout simplement , à faire des projets ,à apprécier le temps donné ….à rencontrer les gens que j’aime ,et ceux que je ne connais pas encore , à partager , à rire …..à écouter …..
Avant de me secouer pour m’atteler à une activité « rangement , tri (avec des journées bien remplies , il n’ y avait pas beaucoup de place pour les opérations de grande envergure …),
Je vous dis encore un grand merci
Bonjour Roselyne et merci pour ces très beaux mots !
Ah le départ des enfants, je ne sais pas encore comment je vais surmonter, en ce moment il en manque un, en septembre il en manquera deux et qui sait quand la troisième s’envolera… Et la retraite en plus, il doit falloir effectivement réinventer sa vie. Une nouvelle page, de nouveaux projets, des nouvelles rencontres, plein de belles choses à vivre ! Assise dans mon canapé, je pense à vous, et je vais me lever, boostée par votre envie d’avancer ! Je vous garde dans un coin de mon coeur comme un aiguillon bienveillant qui m’empêchera de m’assoupir en regardant les jours défiler…
Merci et très belle journée, année, vie, à vous !
Merci beaucoup Isabelle. J’aime beaucoup cette simplicité qui vient du cœur. En lisant ces lignes, je trouve une resonance en moi et ressens le même désir de réagir positivement. Il y a toujours quelqu’un à qui on peut apporter quelque chose et alors c’est le miracle: le bonheur qu’on apporte aux autres rejaillit sur nous-meme.
Bonjour Isabelle, comment allez-vous? Lire, puis relire, vos textes me procure toujours autant de joie – celle là même qui fait le titre de votre blog! Vous gardez ce don de l’écriture qui vient du coeur et qui y va tout droit !! Je vous souhaite de très beaux moments, à très bientôt – pour d’autres publications? JL
Cher Jean-Luc, j’ai gardé votre message devant les yeux depuis le 1er juin, il m’a donné l’inspiration et la force de taquiner à nouveau le clavier ! Merci pour tous vos encouragements et très belle journée à vous !
Après tous ses écrits en prose,
Ce sont des vers qu’Isa nous propose.
Sa vision de la vie elle nous expose.
D’abord happé dans un tourbillon grandiose,
Où jamais on ne se repose,
Où souvent guette l’overdose,
Il faut toujours agir, faire quelque chose,
Pour chasser loin la sinistrose.
Gérer chaque jour en virtuose,
Et même si parfois n’ose,
C’est « le complexe d’ecchymose »,
Se dépasser souvent s’impose.
Puis vient le temps où l’on se pose
Mais où l’angoisse de jours moroses
S’abat telle une phagocytose.
S’interdire le repli, éviter l’ankylose,
Chasser l’idée de devenir un pas-grand-chose.
Le poids de l’expérience en bandoulière, fi de l’arthrose !
De nouveaux projets se recomposent.
Avec la nature se sentir en osmose,
Avec les autres échanger de belles choses,
« Sûr d’avoir le temps, les métempsychoses »…
Touché au cœur Isabelle, ému.
J’aime toujours autant te lire.
je t’embrasse
Quel beau poème, je vais le relire plusieurs fois
Votre plume a de quoi charmer toute l’immensité.
De ceux et celles qui s’enfargent dans la vie
Et même des plus chanceux!
Merci à vous. Et merci de m’avoir appris ce mot, « s’enfarger ». Apprendre, toujours apprendre, voilà un bon moyen de ne pas rester englué dans le canapé ! Bonne journée à vous !
Merci beaucoup. C’est joli et simple. Comme le bonheur.
Merci à vous !
Bonjour Madame,
Ces quelques mots pour vous dire que j’ai 68 ans, et comme je suis en pleine forme, votre beau slam embaume l’avenir.
Très bonne journée à vous, et merci.
Merci et que votre avenir soit radieux !
Si nous n’ avons pas eu la délicatesse de vous souhaitez votre fête, Isabelle, vous de votre côté vous nous offrez là dans un style différent et qui vous va vraiment bien, un texte plein de bon sens et surtout ourlé d’ un élan de liberté. En vous confiant à cet arbre plein d’ expérience… vous nous rappelez que la Nature est là pour nous enseigner définitivement l’ ESSENTIEL.
Je ne vous imagine pas encore aux frontières du grand âge pour vous contenter de votre canapé … peut être vous êtes -vous simplement imaginée plus tard dans le temps et vos résolutions de changement de vie vous permettent-elles de nous exhorter à ne jamais renoncer à toute les facettes de la vie et à s’ en régaler…. j’ espère que tout va bien pour vous MCT….
Bonsoir et merci ! Je pensais à vous en postant le texte hier soir. J’espère que vous allez bien. Vous avez raison, il y a là-dedans un peu de projection, c’est sans doute pour que quand le temps du canapé viendra je n’aie pas à chercher trop longtemps le chemin qui mène à la sagesse du chêne ! Tout va bien par ici, une histoire de jonglerie, ou de jonglage comme on voudra, entre le travail et les mots. Je vous souhaite une belle journée !
Merci pour vos mots, vos messages d’espoir réconfortants quand on sent le néant, le vide en SOI.
Merci à la Nature
Merci à vous de les avoir lus et je partage, merci à la nature !
Un texte qui a du sens au creux de l’existence, un bout de toi de moi qui nous met en émoi.
Quelques mots « claqués » sur ton clavier ont sublimé ma vie dès mes yeux réveillés.
Qu’il est doux et serein de t’entendre slamer dès le petit matin avant de déjeuner.
Sur les chemins fleuris, tu nous chantes la vie et c’est le cœur léger que je t’en remercie
Que cette journée soit douce autant que tu le souhaites peut être même pourras tu en faire une fête.
Tous ces temps et moments ici racontés, font de notre histoire un petit concentré qui bien loin d’être triste nous remet vite en piste. Merci pour ces mots qui en moi font écho, merci pour ces rimes, ce voyage dans l’intime.
Belle journée chère Isa, réjouis toi d’être « Toi »
Toute mon admiration.
Waow c’est épatant
Comme il bien tourné
Ce joli compliment
Que tu m’as adressé.
Il me cueillit à l’aurore
Et réjouit ma journée
Que ta soirée soit d’or
Et ta plume remerciée
Je t’embrasse bien fort
Ainsi que mon cousin
Que votre bel accord
Vous mène très très loin.